Les vallées de l'Asse de Clumanc et de l'Asse de Moriez, en amont de Barrême (Alpes de Haute-Provence), ont la particularité de posséder plusieurs sources salées. L'une d'elles appartient à la commune de Tartonne, l'autre à celle de Moriez. Ces deux sources aujourd'hui inutilisés ont constitué pendant des siècles une ressource précieuse et très convoitée. Dans les régions éloignées de la mer, la présence de sel, indispensable à la vie humaine et animale était un atout considérable, c'est pourquoi les habitants ont toujours cherché à exploiter cette ressource. Sous l'Ancien Régime, les responsables de ces exploitations locales entrèrent rapidement en conflit avec les souverains détenteurs du monopole du sel ; cet état de fait devait d'ailleurs s'est prolongé pendant de nombreuses années. Parmi les plus anciens témoignages sur ces sources, il y a celui de Pierre Gassendi, illustre prévôt du chapitre de Digne, qui y fit une visite : la description qu'il en fit montre que ces deux sites étaient connus déjà de longue date.
La région se trouve géologiquement à l'intérieur de la nappe de Digne. Son soubassement comprend un niveau d'évaporites du Trias (gypse, halite) qui a facilité sa structuration. Dans cette zone l'accident du col de la Cine ou faille du Défends recoupe l'ensemble de la série, ce qui a permis la remontée de ces évaporites à la surface comme le gypse de Givaudan. Les eaux météoriques lessivent ces formations et il se constitue ainsi de petites nappes d'eau salée.
Le puits de Moriez se situe en rive droite de l'Asse, dans le ravin de Bouquet Haut. Le degré de salinité des eaux de Moriez est supérieur à celui de Tartonne. Le cuvelage est en pierres de taille régulièrement appareillées. Une construction aujourd'hui disparue, protégeait le puits. Le bâti se termine vers l'amont par un éperon de maçonnerie pleine servant à le protéger des crues du ravin.
La municipalité de Moriez et de la Réserve Géologique de Haute Provence, ont uni leurs efforts pour valoriser ce patrimoine original ce qui les a conduit à programmer une intervention archéologique.
A 9,20 m le fond du puits est occupé par des argiles caillouteuses gris-blancs (US04) dans lesquelles étaient fichés des rameaux appointés en sapin (Abies alba Mill.) et en bois d'amandier. Le remplissage a livré une céramique moderne et contemporaine jusque dans les couches les plus profondes. Le puits a donc été curé et ce vraisemblablement à plusieurs reprises comme en témoignent les mélanges de sédiments et de mobilier. C'est ce qui explique l'absence de vestiges antérieurs. La partie supérieure du remplissage correspond à l'effondrement de la toiture à l'origine constituée de tuiles rondes. Les fragments de poutres mis au jour font partie de cet ensemble. En réalité, le puits a fonctionné jusqu'au XIXe siècle. Son abandon, rapide correspond à la destruction des murs et de la toiture. Les blocs remontés à la surface des niveaux supérieurs appartenaient à la construction qui protège le puits.
Les fragments de baguettes découverts au fond du puitsont et dont certains étaient taillés (Prunus amygdalus et Abies alba Mill.)étaient disposés de manière intentionnelle. Il pourrait s'agir d'un maillage destiné à fixer des structures d'acquisition du sel. Deux de ces bâtonnets taillés ont été datés au C14 de 6700-6800 ± 40ans BP : Gif-11014 ech 1, 6845 ± 65 ans BP, d13C=-25,29 pour mille, cal BC ( 5810, 5586), Gif-11015 ech 2, 6745 ± 45 ans BP, d13C=-25,17 pour mille, cal BC (5680, 5526).
La source de Moriez constitue l’un des plus anciens sites connus à ce jour en Europe pour l'extraction du sel.
La disposition de baguettes placées au-dessous des dernières assises de pierre démontrent la présence d'un niveau archéologique (Mésolithique-Néolithique) situé à la base du puits et en lien direct avec l'extraction du sel. Les alluvions torrentielles ont donc remblayé le thalweg sur près de neuf mètres à cet endroit précis. Pour atteindre les niveaux salifères dans les périodes modernes, un forage a été réalisé jusqu'à atteindre voire perforer les niveaux préhistoriques ; au passage, les puisatiers ont effectivement remarqué plusieurs vestiges de cuvelage en bois. Ces observations sont citées dans les archives départementales de Digne. Le puits moderne a été solidement maçonné pour éviter les problèmes de comblement.
Devant le puits, subsistent des vestiges de constructions. Les tables salantes, destinées au stockage et à l'évaporation de l'eau, signalées dans un inventaire n'ont pas été retrouvées. Une pièce munie d'une cheminée aménagée pour évaporer l'eau salée et une citerne quadrangulaire sont accolées à la structure principale. Le site est inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1993.
La Commune de Moriez adhérente au Groupe d'Action Local leader II de la Réserve Géologique, il est prévu d'intégrer le puits d'eau salée dans le schéma de découverte et de valorisation du patrimoine.