À plusieurs heures de marche des zones habitées, les prospections menées de 2001 à 2004, dans le massif de l’Argentera-Mercantour (Alpes-Maritimes) renouvellent en profondeur les connaissances sur l’origine de la sidérurgie dans les Alpes. Les résultats obtenus permettent de dresser un premier bilan chronologique sur cette activité métallurgique intégrée dans un territoire enclavé en haute altitude et aux ressources difficiles d’accès.
Les recherches ont permis de mettre au jour des traces d’activités minières et sidérurgiques inédites dès le Premier Age du Fer sur les hautes cimes du massif alpin, au cœur du Parc National du Mercantour.
Dans le secteur du Valdeblore, les ressources en minerais de fer sont localisées dans la partie amont des vallées glaciaires, entre 2 225 et 2 484 mètres. Les exploitations sont associés à la faveur d’un accident majeur du Mercantour orienté NW-SE : les formations de gneiss mylonitisés de Valletta-Mollières. La mylonite et ses marges sont affectées par une fracturation multidirectionnelle : fissures et diaclases sont cimentées par des remplissages ferrugineux d’hématite (Fe2 O3) qui peuvent localement atteindre plusieurs centimètres d’épaisseur. Ces gisements d’hématite exploités principalement à ciel ouvert par carrières et minières sur les crêtes alimentaient plusieurs zones sidérurgiques installées en contrebas.
Les activités de préparation mécanique du minerai, tri et concassage, étaient réalisées sur le lieu de l’extraction entre 2 400 et 2 484 mètres d’altitude. Le minerai traité était transporté puis réduit dans des fourneaux dont les vestiges s’échelonnent de 2 010 à 1 480 mètres d’altitude.
Des sentiers jalonnés par places de résidus de minerai calibré et encore décelables, reliaient les sites d’extraction aux lieux de réduction. Les zones sidérurgiques s’approvisionnaient quasiment toutes à partir des affleurements miniers localisés sur les crêtes.
Au Nord, dans la Haute Tinée, les prospections ont permis de repérer, entre 2 500 et 2 700 mètres d’altitude, de nouvelles zones d’exploitation minières. La géologie associe des minéralisations primaires en amas filonien dans les micaschistes paléozoïques et des brèches sédimentaires, dans les cargneules triasiques remaniant les micaschistes et les fragments d'hématite de l'amas filonien. Les zones de concassage sont localisées en contrebas des éboulis au niveau de cirques glaciaires dominant les vallées. En aval les zones sidérurgiques concentrent charbonnières et sites de réduction.
Les ateliers sont installés sur des replats qui dominent des thalwegs encaissés dans cette partie du massif. Les déchets de métallurgie s’échelonnent entre les cotes 2 050 et 2 070 mètres.
Les vestiges métallurgiques se présentent en accumulations de scories dans des proportions variables fortement concentrés sur des épaisseurs comprises entre 0,10 et 1,50 mètres.
Ces déchets se répartissent en plusieurs catégories :
- des scories coulées qui se sont accumulées à l'extérieur de bas fourneaux, coulures ou cordons agglomérés ;
- des scories qui se sont trouvées piégées à l’intérieur de la cuve et qui en épousent la forme ;
- des vestiges liés à la maçonnerie des fourneaux : fragments de parois aux surfaces en partie vitrifiées ou en résidus, fragments de blocs ou blocs de roche rubéfiés et/ou recouverts de scories écoulées ;
- des charbons de bois.
Les scories piégées ou coulées de forte densité, souvent magnétiques, présentent des teintes oxydées avec des cristallisations marquées. Des fragments d’hématite calibrée accompagnent par endroits les principales concentrations de scories.
Sur plusieurs emplacements, les fours ont vraisemblablement fonctionné en batteries. Leur localisation jouxtent des habitats ou des enclos en pierres sèches liés au pastoralisme d’altitude. Les sites présentent des niveaux archéologiques encore bien conservés sous lamince couche végétale actuelle et n’ont que peu été bouleversés par les phénomènes d’érosion torrentielle.
Avant 2002, date des premières investigations réalisées par l'équipe ERMINA, on ne disposait d'aucun indice chronologique précis relatif à la sidérurgie ancienne dans les Alpes. Les prélèvements de charbons de bois confiés au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (Gif-sur-Yvette et réalisées par Michel Fontugne)mettent en évidence une activité sidérurgique comprise entre le IIe siècle avant J.C. et le VIIe siècle après J.C.
L’intérêt scientifique de ces découvertes est exceptionnel à plus d’un titre. La distribution des vestiges met en évidence une stratégie d’acquisition et de traitement des ressources minérales suivant un modèle adapté aux contextes géologique et géomorphologique ainsi qu’aux contraintes liées à l’étagement de la végétation et aux conditions aérologiques.
Sur les sites miniers, extraction et préparation mécanique des minerais se sont opérées dans l’étage alpin entre 2 700 et 2 400 mètres d’altitude. Le minerai trié et calibré était transporté vers l’aval, à la limite supérieure de l’étage subalpin, sur des sites boisés favorisant le charbonnage et bénéficiant de courants d’air favorables à la ventilation des fours.
L’abondance de ressources minières en altitude sur les cimes en amont des hautes vallées alpines a permis de développer une métallurgie saisonnière adaptée aux conditions d’altitude depuis la Tène.
Les vestiges miniers et métallurgiques découverts sur les cimes de l’Argentera-Mercantour constituent actuellement les vestiges de métallurgie du fer datés les plus hauts en altitude connus en Europe. D’autres observations effectuées en Haute Ubaye montrent des indices d'activité sidérurgique ancienne à des altitudes supérieures à 2 150 mètres.
Ces découvertes ouvrent de nouvelles voies de recherches dans des secteurs jusqu’ici difficiles d’approche à des altitudes supérieures à 2 000 mètres.